Place tahrir.
Système électoral nouveau, informations peu précises ou
inaccessibles, plus de 50 partis et un nombre sans précédent
de candidats sont au rendez-vous aux prochaines élections
législatives. Le citoyen a toutes les raisons pour perdre la
boussole. Tour d’horizon.
Le labyrinthe législatif
Des
symboles illustrant tous les courants, des slogans
différents reflétant toutes les tendances politiques, des
noms et visages nouveaux représentant tous les partis et
coalitions, Le Caire est devenu un immense lieu de
concurrence politique.
Des élections singulières dans l’histoire de l’Egypte. Elles
sont non seulement les premières législatives après la
révolution, mais elles sont aussi différentes à tout point
de vue. Le système instauré cette fois-ci est tout à fait
nouveau : il y aura à la fois des candidats libres, ainsi
que des listes de candidats de divers partis et coalitions.
Et ce n’est pas tout. Le nombre important de partis
politiques et de candidats est surprenant. D’autre part, la
plupart des candidats sont inconnus des électeurs en
comparaison avec ceux qui se sont imposés sur la scène
politique pendant des décennies et dont les principales
figures sont en prison. Et dans ce contexte politique unique
en son genre, le citoyen ne sait plus où donner de la tête.
« Je suis perdu. Il y a tellement d’affiches que je ne sais
plus qui choisir. Nous sommes un peuple qui fait ses
premiers pas dans le monde de la démocratie. Nous ne sommes
pas habitués à utiliser notre droit de choisir librement
notre candidat au Parlement », commente Hicham, comptable.
D’après lui, les élections précédentes ont toujours manqué
de transparence. « On savait d’avance qui allait gagner dans
les différentes circonscriptions. Cette fois-ci, rien n’est
clair », confie-t-il. C’est d’ailleurs ce flou qui marque
les prochaines élections et qui semble inquiéter tout le
monde. Quelle serait la structure du prochain Parlement ?
Quel est le courant politique qui va remporter le plus grand
nombre de sièges ? Est-ce que les feloul (les hommes de
l’ancien régime, surtout du PND) réussiront à accéder au
Parlement ?
Une vingtaine de partis ont vu le jour en 2011. Libéraux et
islamistes ont droit pour la première fois à présenter leurs
candidats en tant que tels. Aujourd’hui, tous les courants
sont représentés, la gauche, les islamistes et les libéraux.
« Cette fois-ci, l’électeur a le choix entre plus de 50
partis. Le nombre de candidats dans certaines
circonscriptions peut atteindre les 200. Comment le citoyen
peut-il trancher dans ce cas-là ? », ajoute Hicham.
Une confusion qui surgit au quotidien dans toutes les
discussions. Personne n’arrive à comprendre le système de
déroulement de ces élections.
D’autres éléments viennent embrouiller le citoyen, comme
celui de choisir les candidats individuels ou de liste.
Le prochain Parlement sera constitué de deux tiers issus
d’un scrutin de liste et d’un tiers uninominal. « J’ai
essayé de comprendre à travers la télé comment je dois voter
mais en vain. Pareil avec la radio en faisant le ménage. Je
ne comprends toujours rien au système que l’on a instauré
cette fois-ci pour les élections », commente Mona,
professeure de sciences dans une école à Maadi. Chaque jour,
en se rendant à son boulot, elle remarque de nouvelles
pancartes. « Personne n’est venu nous présenter son
programme. J’ai vu ce monsieur à la télé, il semble avoir
des idées libérales, je vais peut-être lui donner ma voix »,
explique Mona, pour qui l’arrivée des Frères musulmans ou
des salafistes serait une catastrophe pour le pays.
Mona, de confession chrétienne, craint l’application de la
guézya (amende pour les non-musulmans).
Mais malgré sa confusion et son angoisse, elle tente de se
rassurer en recherchant plus d’informations sur ces
élections. Mais la mission ne semble pas facile. A quelques
jours seulement des élections, elle ne sait toujours pas
dans quelle circonscription et dans quelle école elle va
voter. « J’ai cherché sur le site Internet suivant mon
adresse et selon le numéro de ma carte d’identité mais rien
n’a été encore précisé. Pire encore, j’ai appris que les
membres d’une même famille peuvent ne pas voter dans le même
établissement scolaire », note-t-elle.
Arafa est propriétaire d’un magasin de vente de peinture
dans un quartier populaire du Caire. Convaincu que sa voix
peut changer les choses, il a décidé de se lancer sur
Internet, et plus précisément sur le site elections2011 créé
par la Commission suprême des élections pour comprendre et
mieux choisir son candidat. « Je n’y comprends rien au Net
mais il fallait m’y mettre pour choisir l’homme qu’il faut à
la place qu’il faut », confie Arafa qui a décidé de ne plus
rester passif.
Mais si Arafa a su trouver sa source d’informations,
nombreux sont ceux qui ne savent pas quoi faire. Yasser
Abdel-Mawla, propriétaire d’un supermarché à Boulaq, pense
toujours qu’il peut voter avec sa carte d’électeur. Il a été
très surpris lorsqu’on lui a dit qu’on peut voter avec sa
carte d’identité. Abdel-Mawla, qui a toujours boycotté les
élections, est déterminé à voter cette fois-ci.
Un autre élément qui accentue la confusion du citoyen, c’est
la participation des anciens membres du PND. « Difficile de
croire que nous avons fait une révolution alors que des
symboles de l’ancien régime sont toujours très présents et
ne veulent pas quitter la scène », se plaint Am Hassan,
vendeur dans un magasin.
Place Al-Farouq à Maadi, il est 11h, 3 jeunes hommes
arrivent, tenant des bâtons dans les mains, et se mettent à
déchirer la pancarte de Hassan Amin, avocat et candidat du
parti Masr Al-Haditha (l’Egypte moderne) pour les élections
législatives. « Difficile de se débarrasser des feloul. Ils
sont venus hier et ont déchiqueté la pancarte du cheikh
Abdel-Rahmane, un des candidats des Frères musulmans »,
confie Ahmad, un citoyen de passage à la place Al-Farouq. Ce
dernier et son ami regrettent que la révolution soit arrivée
à ce stade-là. En faisant une petite enquête sur cet
incident, on apprend que ceux qui ont mis en pièces les
affiches sont les employés de la municipalité. La raison :
certains candidats aux élections ne se sont pas acquittés de
la somme de 1 000 L.E. imposée par la Commission suprême des
élections.
Am Hassan, fonctionnaire à la retraite, cherche partout les
noms des jeunes de la révolution pour savoir dans quelles
circonscriptions ils se sont présentés. Son objectif :
connaître leur nombre et, par conséquent, leur chance de
réussite. Moustapha Al-Sayed, fonctionnaire au ministère du
Logement, s’informe sur les élections par l’intermédiaire
des journaux. « A Bassatine, les journaliers attendent avec
impatience pour avoir un peu d’argent et quelques kilos de
viande. Dans de telles conditions, on ne peut pas attendre
de ces électeurs beaucoup de choses », confie Moustapha.
Ce fonctionnaire n’a plus confiance dans les médias. «
Chaque chaîne de télévision est la propriété d’un homme
d’affaires et adopte sa propre position vis-à-vis des
candidats », dit-il.
Non loin, et plus précisément dans le bidonville de Ezbet
Khairallah, des tas d’immondices jonchent par terre,
laissant à peine un passage aux véhicules. Le laisser-aller
a atteint son paroxysme dans cette zone d’urbanisme sauvage
et les habitants sont toujours marginalisés. « Je suis une
femme au foyer. Je ne sais pas distinguer le bon du mauvais.
La voix de l’électeur est une grande responsabilité et j’ai
peur de me tromper », dit Oum Salma.
Cette femme a appris qu’une amende de 500 L.E. sera imposée
à ceux qui s’abstiendront de voter. Mais, elle ne savait pas
que les femmes aussi sont concernées.
Les fausses informations circulent et perturbent les gens. «
Les rumeurs circulent que les jeunes activistes du mouvement
du 6 Avril sont financés par des gouvernements étrangers et
qu’ils ont été formés aux Etats-Unis », dit Oum Salma.
Sa voisine Hanane, fonctionnaire, ne cherche même pas à
s’informer sur les élections et ne compte pas voter.
Pourtant, l’histoire de l’amende lui pose problème. «
Pourquoi nous imposer une telle amende ? Il faut laisser les
gens agir selon leur conscience ».
Adel, fonctionnaire dans une ONG, est très excité par cette
nouvelle expérience démocratique que vit son pays. Il lit 3
journaux par jour et ne rate aucune occasion pour saisir de
nouvelles informations. Il a fait une collection de sites
Internet qui abordent le sujet des élections égyptiennes. En
zappant sur le Net jour et nuit, il a aujourd’hui une idée
sur le candidat de son choix. Il s’est servi de la ligne
140, offerte par le ministère des Télécommunications, pour
vérifier le nom de l’école dans laquelle il devra voter. «
Un service facile, des informations précises et la
communication ne coûte que 50 piastres ».
Adel a même participé à un sondage effectué par le site de
la Radio hollandaise qui étudie les orientations des
Egyptiens lors des prochaines élections.
Adel est prêt à tout tant que ces élections se passeront
dans la transparence. « Peu importe le parti qui va
remporter le plus grand nombre de sièges. Accepter le choix
du peuple. C’est ça la démocratie ». Si Adel, lui, semble
bien averti de ce qu’il doit faire, la majorité reste dans
le flou .
Dina
Bakr