Place tahrir .
Ils se sont donné rendez-vous vendredi dernier pour une
nouvelle manifestation, cette fois-ci dominée par les
islamistes contre les militaires et la charte d’Al-Sélmi.
Mais elle n’a été que le prélude des événements sanglants
qui ont commencé samedi.
Frères et salafistes sur le
devant de la scène
Sous
le slogan de « Vendredi de la seule revendication » comme
l’ont appelé les Frères musulmans, ou encore « Vendredi de
la démocratie et du transfert du pouvoir », selon les
salafistes et les libéraux, plus
de 500 000 manifestants ont réinvesti la place
Tahrir cette semaine. Objectif :
dénoncer la charte contestée d’Al-Sélmi
et exiger des militaires l’accélération du transfert du
pouvoir à une autorité civile élue. Une manifestation
massive qui avait rendu à la place Tahrir, berceau de la
révolution du 25 janvier, son brio.
En état de répit avec le Conseil militaire depuis des mois,
les islamistes ont fait un volte-face en le défiant
ouvertement lors de ce rassemblement où ils ont menacé de
faire chuter le Conseil militaire s’il ne livre pas le
pouvoir à une autorité civile avant le 30 avril 2012. « A
bas les militaires ! », un slogan qui a été scandé à maintes
reprises par les forces libérales, mais c’était la première
fois que les Frères musulmans le disent haut et fort. Les
négociations entamées la veille de cette manifestation entre
le CSFA et des représentants des Frères musulmans et des
partis politiques n’ont été qu’un échec.
36 forces et mouvements politiques, en majorité islamistes,
ont participé à cette manifestation dont la confrérie, la
Gamaa islamiya, les partis salafistes d’Al-Nour et
d’Al-Assala. Ainsi que le front démocratique du mouvement 6
Avril, le parti de la Coalition populaire communiste
et le parti d’Al-Ghad. Les foules ont commencé à affluer sur
la place dès le jeudi soir, où elles ont passé la nuit
préparant cette manifestation.
Avec le lever du soleil, le travail a été à pied d’œuvre
pour préparer les estrades, les discours et les tracts. Vers
midi, déjà des dizaines de milliers de personnes avaient
pris place pour la prière du vendredi, dont le sermon a été
fait comme d’habitude par Mazhar Chahine, dit l’imam de la
révolution.
On pouvait voir des slogans hostiles au régime et à la
charte d’Al-Sélmi. Les familles des victimes de la
révolution ont aussi regagné Tahrir en installant quelques
tentes pour entrer en sit-in.
Une seule différence : ce vendredi a été dominé par les
islamistes qui, sur les 4 estrades présentes, se sont
emparés de 3 suite à une présence timide des libéraux. « Le
peuple veut la chute du régime », un slogan qui a aussi
secoué la place Tahrir lors de la révolution et a été répété
lors de ce vendredi, mais cette fois il était adressé au
Conseil militaire au pouvoir. Les tracts électoraux des
partis islamistes ont été distribués lors de la
manifestation. Ce qui n’a pas manqué de soulever des
accusations sur le détournement des objectifs de ce
rassemblement en faveur des campagnes électorales.
Sur les banderoles entourant la place Tahrir, on pouvait
lire « Le peuple veut chuter Al-Sélmi et sa charte », « Non
au renouvellement du régime de Moubarak et non à l’hérédité
du pouvoir aux militaires », mais aussi « Pas de
Constitution que la charia ». Les Frères et les salafistes,
convaincus de leur réussite écrasante aux prochaines
législatives, craignaient que cette charte ne leur permette
d’avoir la main haute sur la rédaction de la nouvelle
Constitution. Sur l’estrade centrale, Safouat Hégazi, cadre
des Frères musulmans, tire à boulets rouges sur le Conseil
militaire et le gouvernement. « La légitimité des militaires
provient du peuple, et ce peuple a décidé que si le pouvoir
n’est pas livré à un gouvernement civil avant le 30 avril
2012, la place Tahrir annoncera la chute du Conseil
militaire », menace-t-il sous un tonnerre d’applaudissement.
Quant aux libéraux, dont la présence a été timide, ils se
sont joints aux rangs des islamistes pour soutenir l’appel
au transfert du pouvoir. « Les divergences politiques ne
doivent pas nous mener à un état de fragmentation dont
profiterait le camp de la contre-révolution. Et si la
révolution a réussi, c’est bien grâce à cet esprit de
solidarité, et c’est pourquoi nous sommes revenus avec les
islamistes aujourd’hui pour protéger une révolution en péril
», estime Mohamad Saleh, membre du mouvement 6 Avril.
Une ambiance de solidarité que les slogans des islamistes
n’ont pas tardé à dissiper. « Dieu est unique, le
libéralisme est l’ennemi de Dieu », « Islamiya, pas laïque
ni libéral », scandaient les salafistes, alors que les
libéraux répliquaient : « Ni Frères, ni salafistes, notre
révolution est populaire ». Des altercations qui n’ont pas
duré longtemps, puisque les libéraux ont préféré se retirer
de la place Tahrir pour éviter des heurts injustifiés. Le
soir, la plupart des manifestants ont commencé à quitter la
place après que les Frères eurent démantelé leur estrade.
Tandis que les salafistes attendaient toujours l’arrivée du
candidat islamiste à la présidentielle, Hazem Salah
Abou-Ismaïl, qui arrive plus tard, accueilli chaleureusement
par des milliers des salafistes s’écriant : « Allah Akbar ».
Dans son discours, qu’un grand nombre de ses partisans
trouve décevant, il revient sur sa décision de sit-in
ouvert. Vers minuit, la place Tahrir est déserte, à
l’exception de plusieurs dizaines de personnes appartenant
au groupe des blessés de la révolution qui ont insisté à y
camper pour faire entendre leurs revendications négligées.
Mais ce n’était guère la fin ... les choses ne faisaient que
commencer .
May
Al-Maghrabi