Du déjà-vu, dit-on. C’est le constat que tirent ces
Egyptiens présents sur les différentes places ou encore ceux
qui ont préféré comme à l’époque de Moubarak rester chez eux
sur leur canapé figés devant les écrans de télévision. Des
policiers armés de balles, gaz lacrymogènes et matraques
font tomber des morts dans les rangs des civils qui, eux, ne
se défendent que par des jets de pierre.
Oui du déjà-vu. Des morts, des blessés, et des purs
mensonges de la part des autorités et des médias
officiels. Bref, à la « Moubarak ».
Des affrontements sanglants qui ont commencé samedi matin
sur la place Tahrir, avant de gagner d’autres villes du
pays, notamment Alexandrie, Assouan et Suez.
Les heurts se sont poursuivis dans la nuit avant de
s’intensifier dimanche et lundi, notamment au niveau de la
rue Mohamad Mahmoud, à la sortie de Tahrir, rappelant les
scènes de la révolte anti-régime du début de l’année. Des
événements qui clôturent mal la manifestation massive qui a
eu lieu vendredi dernier exigeant le transfert du pouvoir à
des civils. (lire page 4).
La dispersion par la force des dizaines de blessés et des
familles de victimes de la révolution en sit-in sur la place
a mis le feu aux poudres laissant place à la dégénération de
cette vague de violence et des protestations des
révolutionnaires qui dénoncent un retour à la répression
sécuritaire. « Le peuple veut le départ du maréchal »,
scandaient-ils, remplaçant ainsi Moubarak par Tantaoui, jugé
par les révolutionnaires comme l’actuel président du pays
avec son conseil militaire, suite à la réinvasion des forces
de l’ordre appuyées cette fois-ci par des militaires pour
évacuer la place. « Révolution jusqu’à la victoire »,
retentit le slogan sur le berceau emblématique de la
révolution de janvier.
Le ministère de l’Intérieur assure dans un communiqué que la
police n’a eu recours ni aux armes à feu, ni aux fusils de
chasse, ni aux balles en caoutchouc, juste des « moyens
légaux ». Le Conseil des ministres, lui, a tenu une réunion
sur les moyens de contenir la crise et finit par appeler à «
la raison » en louant la position de la police. Et la
télévision publique continue à véhiculer les mêmes
mensonges. « Ceux qui sont sur la place sont des voyous, des
agents, ils attaquent les policiers ». Dans le JT du lundi
soir, la télé publique diffuse des sujets qui montrent les
policiers et dans lesquels les habitants du quartier se
plaignent de ne pas pas pouvoir « mener une vie normale ».
Aucune parole n’est donnée aux manifestants de Tahrir, mais
en revanche, à une dizaine d’autres, qui, dans un autre coin
du Caire, protestaient en faveur des militaires. « Ceux qui
sont à Tahrir ne représentent pas les Egyptiens », dit ainsi
l’un d’entre eux.
« Le Conseil des forces armées poursuit la politique
criminelle et répressive de Moubarak. Rien n’a changé. Ceux
qui croient que la révolution est terminée et que les jeunes
qui ont payé de leur sang permettront de nous faire revenir
au statu quo ont tort », s’insurge Nawara Negm, journaliste
et activiste témoin oculaire du début de l’agression.
Elle accuse sans fard le Conseil militaire d’orchestrer ces
actes de violences « prémédités et injustifiés » pour
entraver la tenue des législatives, prévues le 28 novembre.
Accusation partagée par Mahmoud Afifi, membre du mouvement
du 6 Avril, qui souligne que le 25 janvier est toujours en
place. Une trentaine de mouvements politiques de jeunes ont
appelé à un grand rassemblement sur la place pour protester
contre « cette reproduction du régime dictatorial de
Moubarak ».
De nouvelles revendications
Les demandes s’affichent : des élections présidentielles
juste après les législatives, soit en avril 2012 et non
l’année d’après comme le veut le CSFA. Un gouvernement de «
salut » avec des prérogatives élargies, une enquête et la
poursuite en justice de ceux qui ont tué les manifestants.
Jusqu’au bouclage du journal, les chiffres officiels
faisaient état de 24 morts et plus de 1 700 blessés alors
que les médecins parlent de 35 cadavres arrivés à la morgue
de Zeinhom. Une vingtaine de journalistes trouvent leur
place dans ce bilan et il semble avoir été pris pour cible
de façon préméditée avec des tirs dans l’œil surtout.
Le Conseil militaire se dit « désolé » face aux événements
puis, dans un deuxième communiqué, présente ses condoléances
aux familles des victimes, annonce l’ouverture d’une enquête
et appelle la police « à protéger les manifestants », mais
peinent à approuver la démission du gouvernement. Au moins
officiellement, la démission n’a pas encore été acceptée,
faute de trouver un nouveau premier ministre.
Sur la place, l’annonce a été accueillie par les mêmes
slogans criés depuis trois jours : la chute du pouvoir
militaire. Du déjà-vu aussi. Alors que les manifestants
appelaient au départ de Moubarak, ce dernier s’est précipité
pour former un nouveau gouvernement pour tenter, sans
succès, de les calmer. Les militaires font de même.
Officieusement, les militaires seraient en négociations avec
les jeunes révolutionnaires sur le nom du futur premier
ministre. Deux candidats à la présidentielle sont proposés
par les jeunes : Mohamed ElBaradei ou Abdel Moneim Aboul-Fotouh,
et celui d’un ancien chef du gouvenement sous Moubarak,
Kamal Al-Ganzouri.
Les militaires ont invité les forces politiques à une
réunion mardi dans la matinée en prélude d’une nouvelle
journée de colère prévue dans l’ensemble du pays.
Et dans une autre tentative, tardive d’ailleurs, de contenir
une colère sur le point de régénérer une nouvelle
révolution, le Conseil militaire annonce la promulgation
d’une nouvelle loi sur la lustration visant à priver toute
personne contribuant à la corruption politique de ses droits
politiques pendant 5 ans. Des tractations se poursuivent
mais les doutes grandissent sur le début du processus
électoral. (lire pages 5, 6 et 7).
Les élections maintenues
Pour le moment, aucun report du scrutin n’est prévu. Les
islamistes, favoris des futures élections, soupçonnent
l’armée d’entretenir ce climat d’insécurité pour rester au
pouvoir. Les forces politiques, elles, sont divisées.
Certains y voient un pas important à franchir vers une
autorité civile élue, d’autres trouvent impossible de voter
dans un tel climat. Ils hésitent aussi sur le soutien à
apporter aux manifestations tout en soutenant le maintien
des élections. Les Frères musulmans ont décidé de s’aligner
sur le pouvoir en place et signer absent de ce rallye.
Tous les scénarios sont possibles. De la tenue du scrutin au
chaos total. Chaos prémédité visant à freiner la transition
du pouvoir, comme l’estime la militante et membre de Kéfaya
Karima Al-Hefnawi. « Les événements de Maspero, de
l’ambassade d’Israël et aujourd’hui de Tahrir ne sont qu’un
seul scénario à répétition pour pousser les Egyptiens à
détester la révolution ».
Essam Sultan, vice-président du parti Al-Wassat, estime que
le report des élections risque de mener le pays à un sort
inconnu. « Ce scrutin permettra au moins d’accélérer la
transition du pouvoir. Le gouvernement et le Conseil
militaire ont prémédité de raviver les tensions, avec le
document d’Al-Sélmi deux semaines avant les législatives »,
estime-t-il (lire page 4).
Gamal Zahrane, ex-député indépendant, appelle pourtant à un
arrêt immédiat des législatives car « la tension s’est
exacerbée pour devenir une sorte de vendetta entre la police
et les Egyptiens ». Al-Hefnawi conclut : « Nous avons reçu
le message de la police : On sera ce qu’on a été avant la
révolution. Et voici notre réponse : On ne sera que ce qu’on
est devenu après la révolution » .
May
Al-Maghrabi