Al-Ahram Hebdo, Evénement | La révolution continue

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Abdel-Fattah El Gibali
 
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 Semaine du 23 au 29 novembre, numéro 897

 

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Evénement

Place tahrir . A 9 jours des premières législatives post-Moubarak, une flambée de violence explose sur cet endroit emblématique. Des tactiques à l’ancienne et les incidents sanglants remettent en question le sort des législatives. Une situation très grave.

La révolution continue

Du déjà-vu, dit-on. C’est le constat que tirent ces Egyptiens présents sur les différentes places ou encore ceux qui ont préféré comme à l’époque de Moubarak rester chez eux sur leur canapé figés devant les écrans de télévision. Des policiers armés de balles, gaz lacrymogènes et matraques font tomber des morts dans les rangs des civils qui, eux, ne se défendent que par des jets de pierre.

Oui du déjà-vu. Des morts, des blessés, et des purs mensonges de la part des autorités  et des médias officiels. Bref, à la « Moubarak ».

Des affrontements sanglants qui ont commencé samedi matin sur la place Tahrir, avant de gagner d’autres villes du pays, notamment Alexandrie, Assouan et Suez.

Les heurts se sont poursuivis dans la nuit avant de s’intensifier dimanche et lundi, notamment au niveau de la rue Mohamad Mahmoud, à la sortie de Tahrir, rappelant les scènes de la révolte anti-régime du début de l’année. Des événements qui clôturent mal la manifestation massive qui a eu lieu vendredi dernier exigeant le transfert du pouvoir à des civils. (lire page 4).

La dispersion par la force des dizaines de blessés et des familles de victimes de la révolution en sit-in sur la place a mis le feu aux poudres laissant place à la dégénération de cette vague de violence et des protestations des révolutionnaires qui dénoncent un retour à la répression sécuritaire. « Le peuple veut le départ du maréchal », scandaient-ils, remplaçant ainsi Moubarak par Tantaoui, jugé par les révolutionnaires comme l’actuel président du pays avec son conseil militaire, suite à la réinvasion des forces de l’ordre appuyées cette fois-ci par des militaires pour  évacuer la place. « Révolution jusqu’à la victoire », retentit le slogan sur le berceau emblématique de la révolution de janvier.

Le ministère de l’Intérieur assure dans un communiqué que la police n’a eu recours ni aux armes à feu, ni aux fusils de chasse, ni aux balles en caoutchouc, juste des « moyens légaux ». Le Conseil des ministres, lui, a tenu une réunion sur les moyens de contenir la crise et finit par appeler à « la raison » en louant la position de la police. Et la télévision publique continue à véhiculer les mêmes mensonges. « Ceux qui sont sur la place sont des voyous, des agents, ils attaquent les policiers ». Dans le JT du lundi soir, la télé publique diffuse des sujets qui montrent les policiers et dans lesquels les habitants du quartier se plaignent de ne pas pas pouvoir « mener une vie normale ». Aucune parole n’est donnée aux manifestants de Tahrir, mais en revanche, à une dizaine d’autres, qui, dans un autre coin du Caire, protestaient en faveur des militaires. « Ceux qui sont à Tahrir ne représentent pas les Egyptiens », dit ainsi l’un d’entre eux.

« Le Conseil des forces armées poursuit la politique criminelle et répressive de Moubarak. Rien n’a changé. Ceux qui croient que la révolution est terminée et que les jeunes qui ont payé de leur sang permettront de nous faire revenir au statu quo ont tort », s’insurge Nawara Negm, journaliste et activiste témoin oculaire du début de l’agression.  Elle accuse sans fard le Conseil militaire d’orchestrer ces actes de violences « prémédités et injustifiés » pour entraver la tenue des législatives, prévues le 28 novembre. Accusation partagée par Mahmoud Afifi, membre du mouvement du 6 Avril, qui souligne que le 25 janvier est toujours en place. Une trentaine de mouvements politiques de jeunes ont appelé à un grand rassemblement sur la place pour protester contre « cette reproduction du régime dictatorial de Moubarak ».

De nouvelles revendications

Les demandes s’affichent : des élections présidentielles juste après les législatives, soit en avril 2012 et non l’année d’après comme le veut le CSFA. Un gouvernement de « salut » avec des prérogatives élargies, une enquête et la poursuite en justice de ceux qui ont tué les manifestants. Jusqu’au bouclage du journal, les chiffres officiels faisaient état de 24 morts et plus de 1 700 blessés alors que les médecins parlent de 35 cadavres arrivés à la morgue de Zeinhom. Une vingtaine de journalistes trouvent leur place dans ce bilan et il semble avoir été pris pour cible de façon préméditée avec des tirs dans l’œil surtout.

Le Conseil militaire se dit « désolé » face aux événements puis, dans un deuxième communiqué, présente ses condoléances aux familles des victimes, annonce l’ouverture d’une enquête et appelle la police « à protéger les manifestants », mais peinent à approuver la démission du gouvernement. Au moins officiellement, la démission n’a pas encore été acceptée, faute de trouver un nouveau premier ministre.

Sur la place, l’annonce a été accueillie par les mêmes slogans criés depuis trois jours : la chute du pouvoir militaire. Du déjà-vu aussi. Alors que les manifestants appelaient au départ de Moubarak, ce dernier s’est précipité pour former un nouveau gouvernement pour tenter, sans succès, de les calmer. Les militaires font de même.

Officieusement, les militaires seraient en négociations avec les jeunes révolutionnaires sur le nom du futur premier ministre. Deux candidats à la présidentielle sont proposés par les jeunes : Mohamed ElBaradei ou Abdel Moneim Aboul-Fotouh, et celui d’un ancien chef du gouvenement sous Moubarak, Kamal Al-Ganzouri.

Les militaires ont invité les forces politiques à une réunion mardi dans la matinée en prélude d’une nouvelle journée de colère prévue dans l’ensemble du pays.

Et dans une autre tentative, tardive d’ailleurs, de contenir une colère sur le point de régénérer une nouvelle révolution, le Conseil militaire annonce la promulgation d’une nouvelle loi sur la lustration visant à priver toute personne contribuant à la corruption politique de ses droits politiques pendant 5 ans. Des tractations se poursuivent mais les doutes grandissent sur le début du processus électoral. (lire pages 5, 6 et 7).

Les élections maintenues

Pour le moment, aucun report du scrutin n’est prévu. Les islamistes, favoris des futures élections, soupçonnent l’armée d’entretenir ce climat d’insécurité pour rester au pouvoir. Les forces politiques, elles, sont divisées. Certains y voient un pas important à franchir vers une autorité civile élue, d’autres trouvent impossible de voter dans un tel climat. Ils hésitent aussi sur le soutien à apporter aux manifestations tout en soutenant le maintien des élections. Les Frères musulmans ont décidé de s’aligner sur le pouvoir en place et signer absent de ce rallye.

Tous les scénarios sont possibles. De la tenue du scrutin au chaos total. Chaos prémédité visant à freiner la transition du pouvoir, comme l’estime la militante et membre de Kéfaya Karima Al-Hefnawi.  « Les événements de Maspero, de l’ambassade d’Israël et aujourd’hui de Tahrir ne sont qu’un seul scénario à répétition pour pousser les Egyptiens à détester la révolution ».

Essam Sultan, vice-président du parti Al-Wassat, estime que le report des élections risque de mener le pays à un sort inconnu. « Ce scrutin permettra au moins d’accélérer la transition du pouvoir. Le gouvernement et le Conseil militaire ont prémédité de raviver les tensions, avec le document d’Al-Sélmi deux semaines avant les législatives », estime-t-il (lire page 4).

Gamal Zahrane, ex-député indépendant, appelle pourtant à un arrêt immédiat des législatives car « la tension s’est exacerbée pour devenir une sorte de vendetta entre la police et les Egyptiens ». Al-Hefnawi conclut : « Nous avons reçu le message de la police : On sera ce qu’on a été avant la révolution. Et voici notre réponse : On ne sera que ce qu’on est devenu après la révolution » .

May Al-Maghrabi

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