Industrie .
Le secteur reste confiant malgré le ralentissement
économique. A la zone industrielle du 6 Octobre, les
entreprises affirment maintenir le cap en dépit de «
quelques problèmes ».
Aucune catastrophe en perspective
Dans
la ville du 6 Octobre, une des plus grandes zones
industrielles du pays, située à 23 km du Caire, tout semble
normal malgré les aléas politiques.
Créée en 1981, la ville du 6 Octobre abrite 9 zones
industrielles. Le total des investissements en
infrastructures et en machinerie s’élève à 40 milliards de
L.E. pour 200 000 ouvriers (voir encadré). Chose étonnante,
10 mois après la révolution, l’activité des usines n’est pas
fortement touchée.
Même les petites usines réussissent à survivre : sur 2 000
usines, seules 7 ont dû fermer, un chiffre loin d’être
catastrophique. « Il y a ceux qui sont optimistes et
estiment qu’il y aura des opportunités à l’avenir. Beaucoup
d’investisseurs ont juste remis leurs plans d’expansion à
plus tard », explique Mohamad Chammah, directeur du
développement de la zone industrielle spécialisée C.P.C.,
une des nouvelles zones industrielles créée en 2008.
C’est notamment grâce à une demande locale soutenue que les
machines tournent encore. Selon Chammah, la demande n’a été
ralentie que pendant les deux mois qui ont suivi la
révolution : « Cinq nouvelles entreprises ont lancé des
projets au sein du C.P.C. dans les domaines des produits
alimentaires et de la construction ».
Paradoxalement, c’est le manque de terrain qui a freiné
l’expansion de plusieurs projets. « Nous avons reçu 70
demandes d’achat de terrain auxquelles nous n’avons pas pu
répondre », dit Chammah.
Mais malgré ces problèmes, plusieurs investisseurs ont des
plans d’expansion à moyen terme. « Une chose est sûre : les
travaux de construction seraient plus rapides s’il y avait
une stabilité politique et économique », affirme toutefois
Chammah.
Pour d’autres usines, les marchés extérieurs ont représenté
une véritable bouée de sauvetage. « Pour maintenir leur
niveau de production, beaucoup d’investisseurs ont cherché à
exporter davantage. La Libye offre, par exemple, beaucoup
d’opportunités à l’avenir », assure Magdi Abdel-Moneim,
vice-président de l’Association des investisseurs du 6
Octobre.
Un espoir partagé par Ahmad Arafa, directeur exécutif de
l’entreprise Alural, spécialisée dans l’aluminium. « Nous ne
nous sommes rendu compte de l’importance de nos exportations
vers la Libye qu’après leur suspension. Mais la
reconstruction de la Libye engendrera un véritable essor des
exportations égyptiennes ».
C’est dans cette optique que certains investisseurs
anticipent et construisent de nouvelles entités de
production comme Bariq, une succursale de Raya Holding.
Bariq est spécialisée dans la production du BET, une matière
première qui entre dans la production du plastique. « Nous
sommes les premiers dans cette activité en Egypte. Notre
entreprise peut couvrir 15 % des besoins du marché local. Si
la demande locale sur nos produits baisse, nous ne serons
pas affectés. Nos produits sont utilisés dans la fabrication
des bouteilles d’eau et d’huile, entre autres, et la demande
sur ces produits est stable », estime Khaled Chash,
président de Bariq.
La société Egypt for Engineering Industries (EEI), qui
produit des pièces détachées destinées au marché automobile,
maintient elle aussi ses projets en construction. « Nous
avons deux usines qui vont commencer leur production en
décembre et janvier. De plus, nous avons un autre projet en
construction. Nous maintenons nos plans d’expansion car les
ventes de voitures n’ont pas été trop fortement affectées »,
assure Ihab Ibrahim, directeur général d’EEI. Sa société n’a
vu sa production baisser que de 5 à 6 %, un taux qu’Ihab
Ibrahim considère comme acceptable.
Art Ceramic — dont l’activité a commencé deux mois avant la
révolution — révèle être capable de vendre la totalité de sa
production. « Nous offrons plusieurs produits qui
n’existaient pas avant sur le marché égyptien. On les vend à
un prix bien inférieur à leurs équivalents importés », dit
Hoda Khaïry, vice-présidente de l’entreprise.
Mais la situation n’est pas identique dans tous les
secteurs. Le ralentissement sévère dont souffrent le
tourisme et l’immobilier a causé une baisse de la demande
dans certaines industries. « Nos ventes sont en partie liées
au développement des projets touristiques. Mais
actuellement, notre production destinée à ce secteur est
insignifiante. En général, le marché est en baisse. Si nous
n’avions pas de réserves financières, nous aurions dû
déposer le bilan », poursuit Hoda Khaïry. Alural Egypt
travaille aussi dans la construction de façades d’immeubles
en verre et en aluminium et souffre de l’arrêt de plusieurs
projets. « On travaille à 50 % de notre capacité de
production », se plaint Mohamad Arafa, directeur de l’usine
d’Alural. L’entreprise mère d’Alural a dû licencier 8 % de
l’effectif, soit 800 ouvriers mis au chômage faute de
développement.
Vol, grèves et lourdeurs bureaucratiques
Les investisseurs expriment leur inquiétude vis-à-vis de la
période transitoire. Pour eux, la transition est devenue
synonyme de manque de sécurité, de lenteur des procédures
bureaucratiques et de grèves.
En plus du manque de perspective à court terme, certains
industriels font aussi face à une absence de sécurité. Vols
et actes de violence sont désormais courants. « Au début de
la révolution, ça allait. Mais les vols se sont multipliés
et les usines ont été obligées de fermer pendant les
semaines qui ont suivi la révolution pour éviter les
attaques », explique Magdi Abdel-Moneim, vice-président de
l’Association des investisseurs du 6 Octobre, une ONG qui
regroupe les plus grands industriels de la ville.
Les investisseurs disent surtout être affectés par les
grèves ou les protestations, que ce soit au sein de leurs
usines ou dans d’autres secteurs. Les manifestations
récentes à Damiette ont eu des conséquences importantes. «
Nos distributeurs les plus importants sont à Damiette. On ne
parvenait pas à leur livrer nos produits », explique Hoda
Khaïry d’Alural. Des retards qui peuvent s’avérer fatals
pour Tammam Abdel-Aziz, PDG de l’Entreprise égyptienne pour
les systèmes électriques. « J’ai des cargos disponibles mais
ils sont bloqués à quai à cause des grèves. Si on ne
respecte pas les délais de livraison, Daimler, notre client,
trouvera des alternatives pour produire en Ukraine ou en
Roumanie », explique-t-il.
Pour corser le tout, la bureaucratie est devenue plus lourde
qu’avant la révolution. « Nous traitons avec le gouvernement
et aujourd’hui, le gouvernement est incapable de prendre la
moindre décision. Les procédures sont donc devenues plus
compliquées », ajoute Tammam Abdel-Aziz.
Le président de l’entreprise Bariq, Khaled Chash, le
confirme : « Obtenir des permis pour l’expansion de l’usine
est devenu plus difficile. Certains de ces permis ont été
annulés, car les officiels ne veulent pas prendre la
responsabilité de prendre leurs décisions ». Chash, comme
plusieurs de ses voisins à la ville de 6 Octobre, estime que
cela va continuer tout au long de la période transitoire, «
tant que les institutions de l’Etat ne seront pas
reconstruites. On croyait au départ que la période
transitoire allait être plus courte » .
Marwa
Hussein
Névine Kamel