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 Semaine du 23 au 29 novembre, numéro 897

 

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Arts

Musique . Un label britannique réédite des enregistrements du compositeur Salah Ragab, peu connu à l’étranger, redécouvrant ainsi la figure patriarcale de l’âge d’or du jazz égyptien.

De l’uniforme au free jazz

Maîtres absolus de la musique ces dernières décennies, les majors labels, tels EMI, Universal, Sony music ou Warner, s’échinent en vain à pallier la chute des ventes de disques. Sur le terrain accidenté de ce marché, certains petits labels tirent leur épingle du jeu en spécialisant leurs catalogues. Les amateurs de sonorités sortant des sentiers battus sont les véritables gagnants de cette guerre de tranchée. On ne compte plus les compilations en tous genres, rééditions ou sorties d’enregistrements inédits d’artistes trop souvent oubliés.

Issu du mouvement hip-hop, le crate-digging — littéralement « creuser dans les cratères », allusion aux caisses dans lesquelles les disquaires entreposent les disques vinyles — est à la base de ce phénomène. La pratique n’est plus uniquement réservée à quelques DJ fouilleurs de bac à disques en quête du beat parfait. Pour les auditeurs plus paresseux, de nombreux labels proposent des compilations « clé en main », aux thèmes aussi variés que parfois spécifiques.

C’est le cas de Art Yard qui rend hommage à Salah Ragab, l’un des grands musiciens de ce siècle et considéré comme le père du jazz égyptien. Le jeune label anglais propose de (re)découvrir ce percussionniste et musicien de génie, jusque-là peu diffusé en dehors de l’Egypte. Salah Ragab and The Cairo Jazz Band Presents Egyptian Jazz est une collection de perles qui témoignent de l’extraordinaire inventivité et de la grande diversité de la scène musicale égyptienne des années 1960.

Très influencé par le be-bop américain, l’album mêle avec soin l’utilisation d’instruments traditionnels d’Afrique du Nord (notamment le baza, tambour utilisé durant le mois du Ramadan, et le nay, flûte de bambou au son nasillard caractéristique) avec une orchestration étonnante de piano, basse, batterie, percussions, quatre trompettes, quatre trombones et cinq saxophones. La richesse de l’instrumentation s’explique par les deux visages de ce compositeur et multi-instrumentiste. En effet, Salah Ragab fut à la fois directeur de l’Orchestre militaire du régime de Gamal Abdel-Nasser et créateur du premier jazz band en Egypte.

Né en 1936, le jeune Salah Ragab devient rapidement une figure reconnue des orchestres cairotes. Il s’initie au jazz au côté de Malik Osman Karim, connu sous le nom de scène de Mac X Spears, un jazzman américain résident au Caire au début des années 1960. Militaire au service du régime de Nasser, Ragab baigne dans l’extraordinaire bain métissé et créatif qu’est la capitale d’alors. C’est en 1968, suite à un concert de Randy Weston, qu’il décide de fonder le Cairo Jazz Band avec Hartmut Geerken, un artiste allemand passionné de free jazz travaillant pour l’institut Goethe, et Edu Vizvari, un bassiste d’origine tchèque.

Jazzman de l’Orchestre militaire

Grâce à son poste de directeur, il recrute, au sein de son orchestre militaire, 25 musiciens jusqu’ici plus habitués à jouer diverses marches et autres airs martiaux. Ragab leur dispense une formation accélérée à base de répétitions intensives et séances d’écoute du répertoire des grands jazzmen, de Dizzy Gillespie à John Coltrane. Rapidement, l’orchestre passe maître dans l’interprétation des grands standards et des compositions originales des trois fondateurs, jusqu’à rivaliser dans l’improvisation avec les big bands internationaux. Le premier concert a lieu le 23 février 1969 au Ewart Memorial Hall de l’Université américaine du Caire.

Deux ans plus tard, l’ovni jazz Sun Ra, père de l’Afrofuturisme — mélange d’afrocentrisme, de science-fiction et de spiritualité ancienne — rencontre Salah Ragab lors d’un concert au Caire. De cette rencontre et de la suivante, en 1984, vont naître plusieurs concerts, enregistrés et récemment réédités par un autre label à tête chercheuse (Sun Ra - Arkestra Meets Salah Ragab in Egypt sur le label Golden Years of New Jazz). Cette collaboration mène Ragab sur les scènes du monde entier lors de tournées avec le Sun Ra – Arkestra et d’autres formations internationales (avec le groupe allemand Embryo et aux côtés de Tony Allen, entre autres). Tout en conservant l’empreinte de ses origines orientales, Salah Ragab restera fidèle au jazz sa vie durant et continuera de se produire jusqu’à sa mort au Caire en 2008, à l’âge de 72 ans.

L’excellente compilation Salah Ragab and the Cairo Jazz Band Presents Egyptian Jazz permet de goûter à la production d’un artiste à l’apogée de sa créativité, entre 1969 et 1973.

En Egypte, la richesse artistique de cette période participe à la promotion de l’identité nationale voulue par Nasser. Très perméable, cette scène artistique s’enrichit des innovations des avant-gardes étrangers, de l’Occident à l’Inde, en passant par la Turquie. Dans un effet de miroir inversé, aux Etats-Unis, de nombreux artistes se tournent vers l’Afrique, dans le sillage des luttes pour les droits civiques des Afro-Américains et du rejet de la colonisation européenne. Avec son groove imparable, Salah Ragab and the Cairo Jazz Band Presents Egyptian Jazz est ainsi un témoin hybride d’une histoire de l’art mondial aux contours entremêlés .

Camille Abele

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Mot-clé : Egypte

Une sélection de trois compilations savoureuses pour (re)découvrir des chanteurs et des titres cultes.
Aussi pointue que soit son envie, chacun peut trouver la compilation qui lui convient. Il y a celles qui présentent l’œuvre d’un seul artiste et d’autres qui abordent un thème particulier. De la série Written in Blood et ses « musiques romantiques de films macabres » (sic) à The Sound Of Wonder !, qui défend fièrement la scène pop électronique du Pakistan entre 1973 et 1980, on trouve de tout. Certains labels en ont fait leur marque de fabrique : Sublime Frequencies, Finders Keepers ou Soul Jazz Records, parmi d’autres, ont su se faire un nom dans cette jungle de parutions. Nous présentons ici 3 disques, que l’on pourrait classer, en bon disquaire archiviste et méticuleux, sous l’étiquette « Egypte ».

Women of Egypt 1924-1931 : Pioneers of Stardom and Fame
Une formidable compilation d’enregistrements de stars féminines de la chanson et du cinéma des années 1920 et 1930. Tirée des disques 78 tours de l’époque remasterisés, cette collection comprend, entre autres, la voix d’une jeune et déjà légendaire Oum Kalsoum.

C’est le label anglais Topic qui présente cette musique issue des cabarets fleurissant du Caire des années folles. Avec leurs accents tantôt goguenards, tantôt éplorés, ces voix de femmes ont en commun de chanter leurs passions avec une rare intensité.

Le monde musical de Baligh Hamdi
L’entrée en matière parfaite pour découvrir l’excellent compositeur Baligh Hamdi, à l’origine de célèbres chansons pour les plus grands, notamment Oum Kalsoum, Abdel-Halim Hafez et sa future épouse Warda Al-Jazairia, ainsi que de nombreuses musiques de films dès les années 1960. Intégrant des instruments électriques, tels la guitare ou l’orgue Mood, Hamdi offre une relecture psychédélique de la chanson traditionnelle égyptienne. Les influences du swing, du mambo, du rock’ n’roll en vogue dans les années 1960-70 se mélangent dans ce répertoire délicieusement romantique.

Omar Khorshid — Guitar Al-Charq (voir Al-Ahram Hebdo du 17 au 23 août 2011)
Les accords surf et space rock de la guitare de Omar Khorshid, collaborateur de Baligh Hamid, Oum Kalsoum et Abdel-Halim Hafez, ont été remis au goût du jour par le label américain Sublime Frequencies. Un jeu de guitare magistral au service d’une inventivité remarquable qui lance une passerelle entre le psychédélisme et les tempos orientaux des années 1970 .

C. A.

 

 




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