Le héros d’un conte de fée ou un homme parmi
d’autres. Le médecin se situe quelque part entre l’idéalisme et
le réalisme. Dr Nasser Abdel-Aal a choisi de consacrer sa vie à
autrui. Et cela n’était pas sans se faire au détriment de sa vie
privée. Son bistouri fait office d’une baguette magique, à même
de donner espoir aux nouveau-nés à problèmes, notamment ceux
provenant d’un accouchement prématuré.
Le chirurgien, une fois célèbre, décide un
jour de fermer sa clinique dans la banlieue résidentielle
d’Héliopolis, pour se donner entièrement à l’hôpital public pour
enfants, Aboul-Rich, situé dans le quartier populaire de Mounira.
Un acte héroïque ? Surtout un rêve. Or, la plupart des médecins
souhaitent avoir une clinique comme la sienne, compte tenu des
salaires modiques des hôpitaux gouvernementaux ... « Aux
Etats-Unis, on dit : Even the Doctor has to eat (Même le médecin
a besoin de manger) », dit Abdel-Aal dans un anglais parfait,
ajoutant comme pour s’expliquer : « Dieu merci, je suis issu
d’une famille aisée. J’ai tout ce dont j’ai besoin, alors
pourquoi ne pas essayer d’alléger la souffrance des gens ? ».
Son raisonnement dévoile en partie son côté
idéaliste. Par contre il affirme : « J’ai essayé d’être réaliste.
Je me suis dit que je ne pouvais pas travailler entre la
clinique, les hôpitaux privés et l’hôpital d’Aboul-Rich. Et,
j’ai senti que les gens appartenant aux classes les plus
défavorisées ont besoin de mon aide. Je n’avais pas assez de
temps, et donc il fallait renoncer à ma rétribution ». Abdel-Aal
ne pouvait plus supporter l’idée que des gens dans le besoin ne
trouvent pas les moyens de soigner leurs enfants, compte tenu
des frais astronomiques des hôpitaux privés. Il se sentait
accablé en entendant dire qu’un père a vendu sa voiture et a
emprunté de l’argent à des amis pour que son petit puisse être
opéré. « Ma récompense est de voir la satisfaction sur le visage
d’une mère à la sortie de son enfant sain et sauf de la salle
d’opérations ». Dans cette lignée de pensées, le chirurgien a dû
fonder une unité spécialisée en chirurgie des nouveau-nés et des
enfants prématurés, au sein de l’hôpital d’Aboul-Rich. Un petit
coin idéal où il pourra faire des miracles !
Sa vie se déroule donc ainsi entre salles
d’opération et cours universitaires, toujours entouré de ses
étudiants et disciples. Dans son bureau à l’hôpital d’Aboul-Rich,
un jeune médecin est à la recherche d’un dossier, une autre
entre en saluant ... Le regard de tous trahit une certaine
complicité, mêlée à beaucoup d’estime et d’amour. Car leur
professeur fait plutôt office de père spirituel. Nasser
Abdel-Aal fait partie de ces gens qui passent leur énergie aux
autres, les aidant à panser leur blessure.
Toujours, au bureau, intervient un père
confus, un bébé dans les bras. La porte est toujours ouverte,
comme d’habitude ... Le chirurgien arrête la conversation tout
court, pour prêter attention au père qui vient d’entrer.
Cet amour pour la médecine est héréditaire,
il l’a dans les gènes, étant le fils du pédiatre de renom Ali
Abdel-Aal.
En effet, tout a commencé lorsque l’ancien
élève des pères jésuites est parti pour les Etats-Unis, après
avoir décroché une bourse de distinction. Là-bas, il a
accompagné son père dans une visite à une faculté de médecine
... L’amour s’est enraciné dans son cœur. Plus tard, il a choisi
de se spécialiser en chirurgie. « Mon professeur, Adel Loutfi,
m’a beaucoup encouragé afin de me lancer dans le domaine de la
chirurgie des nouveau-nés, à l’époque une spécialisation
naissante en Egypte ».
Des recherches en continu, des études en
France et en Angleterre, Nasser Abdel-Aal a déployé tous les
efforts nécessaires pour acquérir un certain savoir, jusqu’à
devenir un expert en la matière. « Tous les parents s’attendent
à ce que leurs enfants malades aient le meilleur traitement
possible. Il faut que le médecin soit toujours à la hauteur ».
Le lexique d’Abdel-Aal ne comporte guère des mots comme vacances,
repos ou loisirs. « Je ne peux pas dire qu’un jour de ma vie
s’est écoulé sans me pencher sur une recherche ou un livre ...
Un chirurgien ne doit jamais arrêter d’étudier. Il doit toujours
suivre les derniers exploits, partout dans le monde ». Suivant
cette logique, le mot « difficile » n’existe pas non plus pour
le chirurgien. Il n’y a pas d’opération dite difficile,
néanmoins il y a des complications auxquelles il faut réagir
dans l’immédiat. « Dans la salle d’opération, chaque seconde
constitue un défi à la mort. On ne peut pas se permettre la
moindre hésitation ».
Entre-temps, le chirurgien se rappelle d’un
cas très touchant. Une fois, une femme inconnue est venue le
voir avec un bébé entre les bras. C’était un enfant qu’elle
avait trouvé dans la rue, parmi les miaulements des chats
errants. « Les chats se précipitaient sur une chose, puis elle a
pu discerner une voix faible : c’était le bébé au ventre
déchiqueté, avec les entrailles dehors … J’ai passé des heures
dans le bloc opératoire, afin de remettre chaque organe à sa
place ». Puis ajoutant, avec un petit sourire : « Aujourd’hui,
il a trente ans environ ».
« Sauver » est un hobby. C’est aussi le mot
qui oriente toute sa carrière. Il aime avoir ce plaisir de
regarder ses patients s’améliorer et se rétablir. Ahmad et
Mohamad, les deux jumeaux siamois reliés par le sommet du crâne,
c’est un cas rare dont l’histoire a fait le tour du monde.
Abdel-Aal a été le chef de l’équipe médicale qui les a séparés.
La partie la plus dangereuse de l’opération a été de séparer les
parties communes de leurs cerveaux ainsi que les vaisseaux
drainant le sang vers les cerveaux. « On a dû partir à Dallas,
aux Etats-Unis, où les spécialistes leur ont inventé une table
d’opération particulière ainsi que d’autres outils nécessaires
». Abdel-Aal ne peut cacher son contentement suite à la réussite
de cette opération. « Le père de ces deux enfants est un modeste
gardien d’école dans un village de la Haute-Egypte. Quand on lui
a annoncé la réussite de l’opération, il m’a attrapé par le cou,
m’a embrassé puis s’est évanoui ... ».
Suite à la réussite de cette opération, la
chaîne américaine NBC s’est intéressée au chirurgien et lui a
même consacré un documentaire. « On découvre des cas considérés
comme très rares qui sont fréquents en Haute-Egypte, telle
l’oblitération de l’œsophage ». Pourquoi en Haute-Egypte ? « Je
me penche sur la question ces jours-ci. C’est l’objet d’une
recherche en cours ».
Hosna et Hosniya, sont deux autres jumelles,
cette fois-ci nigériennes. Elles viennent d’être séparées avec
succès, grâce à une équipe de 16 chirurgiens, sans compter les
anesthésistes et les médecins des soins intensifs. En tête de
liste, figure le nom de Nasser Abdel-Aal. « Ces deux ex-jumelles
ont été reliées par deux cavités abdominales, ce qui a provoqué
une interférence des intestins ainsi que la présence d’un tissu
commun pour leur foie », explique-t-il calmement. Et d’ajouter :
« Les parents s’étaient rendus aux Etats-Unis et en Allemagne,
et les médecins leur ont affirmé que les processus de séparation
ne pourront être achevés qu’au cours de 10 mois d’opérations
continues. Ils avaient entendu parler de notre unité à travers
la société de tourisme curatif MED dépendant du ministère
égyptien de la Santé. Nous les avons reçus à l’aéroport, avec
une ambulance équipée et nous avons commencé toute de suite
l’auscultation ».
Parfois, la voix se teinte de fierté, puis
intervient la modestie des grands et un certain calme pesant. «
Nous avons pu achever tous les processus de séparation au bout
de quelques heures, et elles vont bientôt rentrer chez elles ».
Ses étudiants lui demandent des fois de ne
pas accepter de nouveaux cas, faute de places vacantes. Mais
pour lui, il n’en est pas question. D’ailleurs, même s’il est à
l’étranger, il continue de recevoir coups de fil et demandes. «
Comment ne pas aider un enfant à survivre ? », s’insurge-t-il. «
Autrefois, beaucoup de nouveau-nés mouraient parce que cette
spécialisation et cette unité n’existaient pas. J’ai appris à
mes étudiants à maintenir un certain rythme, de manière à être
toujours prêts à recevoir d’autres patients ». Les cris des
bébés envahissent le bureau. Le médecin se tourne vers l’un de
ses étudiants lui demandant s’il a examiné le bébé, entré il y a
peu de temps avec son père. Le chirurgien rêve d’installer une
unité pareille dans tous les gouvernorats. C’est le rêve de
défier la mort, loin de la centralisation et de la métropole .
Lamiaa Al-Sadaty