En mai 1977, Menahem Begin devint premier
ministre en Israël. Deux mois plus tard, il était à Washington,
porteur d’un projet sur la poursuite des négociations pour un
règlement de la crise au Moyen-Orient. Avant son départ, il
annonça qu’Israël était prêt à participer à la conférence de
Genève, à condition d’en exclure l’Organisation de Libération de
la Palestine, l’OLP. Sa visite aboutit à un accord entre lui et
le président Carter, stipulant le contournement de la conférence
de Genève, ainsi que l’exclusion de l’Union soviétique et de
l’OLP des négociations.
Les indices sur les objectifs de Sadate
étaient très clairs, ainsi que les clés de sa personnalité. Pour
Begin, c’était l’occasion rêvée pour faire définitivement sortir
l’Egypte du groupe arabe.
Par l’intermédiaire du palais royal au Maroc,
Begin commença par insinuer à Sadate qu’il avait des
informations sur un complot libyen contre lui. Il lui assura
qu’il était prêt à fournir directement les informations à un
envoyé égyptien dûment mandaté.
Sadate dépêcha aussitôt à Rabat le chef des
renseignements militaires égyptiens, où il rencontra le chef du
Mossad, qui lui donna les détails du complot. Sadate déclencha
alors immédiatement une guerre de représailles contre la Libye.
Les avions égyptiens bombardèrent pendant une semaine entière
des positionnements libyens sur la frontière et au-delà de la
frontière. Par ces bombardements, Sadate avait l’espoir de
prouver qu’il était capable de faire face aux régimes hostiles
aux Etats-Unis.
Les mois suivants furent ceux d’une fièvre de
contacts secrets couronnés d’une rencontre secrète entre Moshe
Dayan, ministre israélien des Affaires étrangères et le roi
Hussein de Jordanie le 24 août, et entre Sadate et le roi du
Maroc le mois d’après.
Deux mois plus tard, le 19 novembre 1977 …
L’aéroport de Jérusalem. Le président Sadate
descend l’escalier de son jet privé (d’une valeur de 12 millions
de dollars, payés par l’Arabie saoudite), avec à ses côtés
Yitzhak Navon, président de l’Etat d’Israël.
Titre :
C’était la première fois qu’un président
arabe faisait une visite de ce genre, sous le slogan d’une paix
durable à n’importe quel prix et sous la houlette de la
domination américaine. Sadate reconnaissait ainsi le droit
historique des juifs sur la Palestine et sur la ville sacrée, en
plus du droit des colons sionistes à exister.
Cette reconnaissance a bouleversé toutes les
règles. Begin se mit à dire qu’il reconnaissait aux Palestiniens
vivant sous occupation sioniste le droit d’exister sous forme
d’un projet d’autogestion pour les habitants de la rive ouest du
Jourdain et de Gaza. Quant à ceux qui ne vivaient pas sous
occupation sioniste, ils n’avaient pas droit à la Palestine, et
ils devaient se fondre dans l’Etat où ils vivaient.
La Knesset israélienne. Sadate fait un
discours et annonce : « Il n’y aura plus de guerres entre
l’Egypte et Israël ».
Titre :
Quelques jours plus tôt ...
Israël avait testé les avions Kfir produits
dans ses usines en lançant une attaque surprise sur le village
d’Al-Aziziya, dans le Sud-Liban.
Manchette du quotidien israélien Yedioth
Aharonot : « Le commandant de l’escadrille de Kfir annonce que
la mise en exécution était excellente et que les appareils, très
performants, ont fonctionné au-delà de toute attente ».
L’aéroport de Jérusalem. Sadate se prépare à
monter dans son avion pour rentrer dans son pays. Il serre la
main du commandant israélien de l’escadrille de Kfir qui a
attaqué le village d’Al-Aziziya. C’est lui, en personne, qui
escorte l’avion de Sadate dans le ciel de Jérusalem.
Paragraphe surligné dans un article signé par
le journaliste Jim Hooglan dans le Washington Post : « L’enquête
menée par le Congrès, par le biais d’un comité dirigé par le
sénateur Franck Tirch, avec des dirigeants de la CIA, a montré
que le roi Hussein touchait des sommes de la CIA. Tandis que
Nasser tentait, dans les années soixante, de renverser le régime
saoudien conservateur, Kamal Adham, président des renseignements
saoudiens, officier de liaison avec les renseignements
américains, réussit à gagner prudemment le président Sadate, à
l’époque vice-président d’Egypte. D’après une source bien
informée qui a refusé de donner plus de détails, M. Adham aurait,
à un moment donné, versé à Sadate un revenu personnel fixe ».
Ismaïliya.
La résidence luxueuse du président égyptien.
Sadate et sa femme reçoivent Menahem Begin et son épouse le jour
de Noël en 1977. Conférence de presse en direct. Sadate lit un
papier : Nous avons décidé, d’un commun accord, que la guerre
d’Octobre serait la dernière entre l’Egypte et Israël. Sur la
photo, directement derrière Sadate, on peut voir le bandeau noir
sur l’œil de Moshe Dayan.
Titre :
Deux mois et demi plus tard ...
Sud-Liban, près de la frontière avec Israël.
Des buissons de tabac verts disséminés dans les vallons et les
collines. Des familles entières vaquent à des tâches agricoles.
Des dromadaires et des bêtes chargés. Des agriculteurs installés
par terre devant les tas de figues, de raisins et de figues de
barbarie qu’ils vendent avec un gobelet pour unité. Des rameaux
de palmiers et des branches d’orangers. L’étang de Mays al-jabal.
Des Libanaises lavent des vêtements et de la vaisselle dans
l’eau stagnante. Le bétail s’abreuve à la même eau. Par terre,
sur le chemin, ont été gravés des slogans nationalistes et
palestiniens.
Une jeune Libanaise portant une blouse aux
manches retroussées, la tête ceinte d’un long foulard noué sur
les cheveux. Devant elle, un banc bas et rectangulaire, au-dessus
duquel un plat de farine. Sur sa droite, un four constitué de
deux blocs de pierre, qui sont surmontés d’un plateau de cuivre.
La femme étend le morceau de pâte sur le banc bas, puis sur le
plateau de manière à ce qu’il recouvre toute sa surface.
Même lieu, après le coucher du soleil. Les
agriculteurs rentrent chez eux. Petit à petit, les chemins se
vident. La voix d’une jeune fille qui chante s’élève d’une
maison :
« Mère, de Tell Al-Zaatar
Je t’aurais envoyé une lettre
Venant d’une tente verte
Je t’aurais décrit cette situation
Mère, de Tell Al-Zaatar
Des fusées enflamment les maisons
Les blessés, mère, se meurent
Beyrouth se plaint et pleure
Et il n’y reste plus de maisons ».
Les chemins sont plongés dans l’obscurité
totale. On entend au loin le hurlement d’un loup.
Titre :
Et soudain …
Des bombes éclairantes tombent sur les
champs. D’énormes explosions. Des flammes un peu partout.
Titre :
Le 15 mars 1978, à 1h30 du matin, commençait
l’offensive israélienne. Cette opération, que l’ordinateur
appelait à ses débuts le « sommet de l’intelligence », a été
plus connue par la suite sous le nom de l’opération du Litani.
30 000 soldats y ont participé, secondés par des avions, des
chars et des navires. L’objectif annoncé de l’opération était de
« créer une ceinture de sécurité d’une profondeur de dix
kilomètres ».
Quelques heures après, Begin publia un
communiqué dans lequel il disait : « Il y a des jours où tous
les citoyens d’Israël, ainsi que tous ceux de bonne volonté dans
les autres Etats disent : tout notre respect va à l’armée
d’Israël. Cette journée est l’une de celles-là. En 24 heures, et
alors que les conditions climatiques et géographiques sont
extrêmement mauvaises, l’armée israélienne a mené à bien la
tâche que le gouvernement lui a assignée, sur un front de 100 km
de long ».
Un passage surligné du livre d’Ezer Weizman,
La Bataille pour la paix, publié en 1981 : « Quelques minutes
après que le premier char israélien eut passé la frontière du
Sud-Liban, le téléphone sonna dans le bureau de Eliezer Raymond,
président de notre délégation au Caire. Malgré l’heure tardive,
la direction générale à Tel-Aviv ordonna à Raymond de prendre
contact avec le dirigeant des services de renseignements
égyptiens — le général Chawkat — pour lui transmettreun message
important. Raymond transmit à Chawkat : Depuis peu, nos forces
ont lancé une opération réduite sur la frontière libanaise, pour
détruire les bases des terroristes dans la zone. J’espère que
cette opération réduite ne freinera pas les pourparlers entre
nos deux pays ».
Des tanks israéliens poussiéreux avancent sur
un chemin agricole. Des deux côtés de la route, des enfants
palestiniens, aux mains ligotées et aux yeux bandés. Le feu
avale des villages entiers. Des gens courent, terrorisés. Des
maisons s’effondrent. Du sang sur les visages. Des cadavres sur
la route. Une enfant de trois ans, du sang gicle de sa cuisse
amputée. Sur une colline, un combattant armé portant l’insigne
palestinien ouvre le feu. Un obus touche la colline et la fait
exploser.
Un passage du Journal de Mohamad Ibrahim
Kamel, ministre des Affaires étrangères égyptien, surligné : «
Le matin suivant l’attaque israélienne, j’ai téléphoné au
président Sadate dans sa résidence à Al-Qanater al-Khaïriya pour
lui faire part du communiqué que j’avais préparé sur l’attaque.
Mais je n’ai pas pu lui parler parce qu’il dormait encore. Je
l’ai rappelé plusieurs fois, en espaçant mes appels. En vain.
J’ai alors publié le communiqué, sans attendre son avis. La
situation était en effet embarrassante pour l’Egypte, surtout
face au monde arabe ».
« A 1h30 de l’après-midi, Sadate m’appela au
ministère et me demanda, d’une voix somnolente, pourquoi je
l’avais appelé plusieurs fois le matin même. Je lui répondis
qu’il s’agissait de l’attaque israélienne sur le Liban. Il me
demanda en rigolant : Ils leur ont foutu une bonne raclée ou pas
encore ? ». Ne saisissant pas ce qu’il voulait dire, je lui
demandai : « Pardon ? ». Il me dit : « Ils leur ont donné une
bonne leçon ou pas encore ? ». « Je compris enfin qu’il parlait
des Israéliens, et qu’il voulait savoir s’ils avaient donné une
leçon aux Palestiniens … » .
Traduction de Dina Heshmat