Al-Ahram Hebdo, Littérature |Sonallah Ibrahim,Beyrouth, Beyrouth
  Président Salah Al-Ghamry
 
Rédacteur en chef Mohamed Salmawy
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 Semaine du 16 au 22 août 2006, numéro 623

 

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Littérature

Dans son roman Beyrouth, Beyrouth (1984), Sonallah Ibrahim  utilise sa technique privilégiée consistant à juxtaposer fiction et documentaire. Cet extrait décrit les séquences d’un film sur la guerre civile au Liban.

Beyrouth, Beyrouth

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En mai 1977, Menahem Begin devint premier ministre en Israël. Deux mois plus tard, il était à Washington, porteur d’un projet sur la poursuite des négociations pour un règlement de la crise au Moyen-Orient. Avant son départ, il annonça qu’Israël était prêt à participer à la conférence de Genève, à condition d’en exclure l’Organisation de Libération de la Palestine, l’OLP. Sa visite aboutit à un accord entre lui et le président Carter, stipulant le contournement de la conférence de Genève, ainsi que l’exclusion de l’Union soviétique et de l’OLP des négociations.

Les indices sur les objectifs de Sadate étaient très clairs, ainsi que les clés de sa personnalité. Pour Begin, c’était l’occasion rêvée pour faire définitivement sortir l’Egypte du groupe arabe.

Par l’intermédiaire du palais royal au Maroc, Begin commença par insinuer à Sadate qu’il avait des informations sur un complot libyen contre lui. Il lui assura qu’il était prêt à fournir directement les informations à un envoyé égyptien dûment mandaté.

Sadate dépêcha aussitôt à Rabat le chef des renseignements militaires égyptiens, où il rencontra le chef du Mossad, qui lui donna les détails du complot. Sadate déclencha alors immédiatement une guerre de représailles contre la Libye. Les avions égyptiens bombardèrent pendant une semaine entière des positionnements libyens sur la frontière et au-delà de la frontière. Par ces bombardements, Sadate avait l’espoir de prouver qu’il était capable de faire face aux régimes hostiles aux Etats-Unis.

Les mois suivants furent ceux d’une fièvre de contacts secrets couronnés d’une rencontre secrète entre Moshe Dayan, ministre israélien des Affaires étrangères et le roi Hussein de Jordanie le 24 août, et entre Sadate et le roi du Maroc le mois d’après.

Deux mois plus tard, le 19 novembre 1977 …

L’aéroport de Jérusalem. Le président Sadate descend l’escalier de son jet privé (d’une valeur de 12 millions de dollars, payés par l’Arabie saoudite), avec à ses côtés Yitzhak Navon, président de l’Etat d’Israël.

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C’était la première fois qu’un président arabe faisait une visite de ce genre, sous le slogan d’une paix durable à n’importe quel prix et sous la houlette de la domination américaine. Sadate reconnaissait ainsi le droit historique des juifs sur la Palestine et sur la ville sacrée, en plus du droit des colons sionistes à exister.

Cette reconnaissance a bouleversé toutes les règles. Begin se mit à dire qu’il reconnaissait aux Palestiniens vivant sous occupation sioniste le droit d’exister sous forme d’un projet d’autogestion pour les habitants de la rive ouest du Jourdain et de Gaza. Quant à ceux qui ne vivaient pas sous occupation sioniste, ils n’avaient pas droit à la Palestine, et ils devaient se fondre dans l’Etat où ils vivaient.

La Knesset israélienne. Sadate fait un discours et annonce : « Il n’y aura plus de guerres entre l’Egypte et Israël ».

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Quelques jours plus tôt ...

Israël avait testé les avions Kfir produits dans ses usines en lançant une attaque surprise sur le village d’Al-Aziziya, dans le Sud-Liban.

Manchette du quotidien israélien Yedioth Aharonot : « Le commandant de l’escadrille de Kfir annonce que la mise en exécution était excellente et que les appareils, très performants, ont fonctionné au-delà de toute attente ».

L’aéroport de Jérusalem. Sadate se prépare à monter dans son avion pour rentrer dans son pays. Il serre la main du commandant israélien de l’escadrille de Kfir qui a attaqué le village d’Al-Aziziya. C’est lui, en personne, qui escorte l’avion de Sadate dans le ciel de Jérusalem.

Paragraphe surligné dans un article signé par le journaliste Jim Hooglan dans le Washington Post : « L’enquête menée par le Congrès, par le biais d’un comité dirigé par le sénateur Franck Tirch, avec des dirigeants de la CIA, a montré que le roi Hussein touchait des sommes de la CIA. Tandis que Nasser tentait, dans les années soixante, de renverser le régime saoudien conservateur, Kamal Adham, président des renseignements saoudiens, officier de liaison avec les renseignements américains, réussit à gagner prudemment le président Sadate, à l’époque vice-président d’Egypte. D’après une source bien informée qui a refusé de donner plus de détails, M. Adham aurait, à un moment donné, versé à Sadate un revenu personnel fixe ».

Ismaïliya.

La résidence luxueuse du président égyptien. Sadate et sa femme reçoivent Menahem Begin et son épouse le jour de Noël en 1977. Conférence de presse en direct. Sadate lit un papier : Nous avons décidé, d’un commun accord, que la guerre d’Octobre serait la dernière entre l’Egypte et Israël. Sur la photo, directement derrière Sadate, on peut voir le bandeau noir sur l’œil de Moshe Dayan.

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Deux mois et demi plus tard ...

Sud-Liban, près de la frontière avec Israël. Des buissons de tabac verts disséminés dans les vallons et les collines. Des familles entières vaquent à des tâches agricoles. Des dromadaires et des bêtes chargés. Des agriculteurs installés par terre devant les tas de figues, de raisins et de figues de barbarie qu’ils vendent avec un gobelet pour unité. Des rameaux de palmiers et des branches d’orangers. L’étang de Mays al-jabal. Des Libanaises lavent des vêtements et de la vaisselle dans l’eau stagnante. Le bétail s’abreuve à la même eau. Par terre, sur le chemin, ont été gravés des slogans nationalistes et palestiniens.

Une jeune Libanaise portant une blouse aux manches retroussées, la tête ceinte d’un long foulard noué sur les cheveux. Devant elle, un banc bas et rectangulaire, au-dessus duquel un plat de farine. Sur sa droite, un four constitué de deux blocs de pierre, qui sont surmontés d’un plateau de cuivre. La femme étend le morceau de pâte sur le banc bas, puis sur le plateau de manière à ce qu’il recouvre toute sa surface.

Même lieu, après le coucher du soleil. Les agriculteurs rentrent chez eux. Petit à petit, les chemins se vident. La voix d’une jeune fille qui chante s’élève d’une maison :

« Mère, de Tell Al-Zaatar

Je t’aurais envoyé une lettre

Venant d’une tente verte

Je t’aurais décrit cette situation

Mère, de Tell Al-Zaatar

Des fusées enflamment les maisons

Les blessés, mère, se meurent

Beyrouth se plaint et pleure

Et il n’y reste plus de maisons ».

Les chemins sont plongés dans l’obscurité totale. On entend au loin le hurlement d’un loup.

Titre :

Et soudain …

Des bombes éclairantes tombent sur les champs. D’énormes explosions. Des flammes un peu partout.

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Le 15 mars 1978, à 1h30 du matin, commençait l’offensive israélienne. Cette opération, que l’ordinateur appelait à ses débuts le « sommet de l’intelligence », a été plus connue par la suite sous le nom de l’opération du Litani. 30 000 soldats y ont participé, secondés par des avions, des chars et des navires. L’objectif annoncé de l’opération était de « créer une ceinture de sécurité d’une profondeur de dix kilomètres ».

Quelques heures après, Begin publia un communiqué dans lequel il disait : « Il y a des jours où tous les citoyens d’Israël, ainsi que tous ceux de bonne volonté dans les autres Etats disent : tout notre respect va à l’armée d’Israël. Cette journée est l’une de celles-là. En 24 heures, et alors que les conditions climatiques et géographiques sont extrêmement mauvaises, l’armée israélienne a mené à bien la tâche que le gouvernement lui a assignée, sur un front de 100 km de long ».

Un passage surligné du livre d’Ezer Weizman, La Bataille pour la paix, publié en 1981 : « Quelques minutes après que le premier char israélien eut passé la frontière du Sud-Liban, le téléphone sonna dans le bureau de Eliezer Raymond, président de notre délégation au Caire. Malgré l’heure tardive, la direction générale à Tel-Aviv ordonna à Raymond de prendre contact avec le dirigeant des services de renseignements égyptiens — le général Chawkat — pour lui transmettreun message important. Raymond transmit à Chawkat : Depuis peu, nos forces ont lancé une opération réduite sur la frontière libanaise, pour détruire les bases des terroristes dans la zone. J’espère que cette opération réduite ne freinera pas les pourparlers entre nos deux pays ».

Des tanks israéliens poussiéreux avancent sur un chemin agricole. Des deux côtés de la route, des enfants palestiniens, aux mains ligotées et aux yeux bandés. Le feu avale des villages entiers. Des gens courent, terrorisés. Des maisons s’effondrent. Du sang sur les visages. Des cadavres sur la route. Une enfant de trois ans, du sang gicle de sa cuisse amputée. Sur une colline, un combattant armé portant l’insigne palestinien ouvre le feu. Un obus touche la colline et la fait exploser.

Un passage du Journal de Mohamad Ibrahim Kamel, ministre des Affaires étrangères égyptien, surligné : « Le matin suivant l’attaque israélienne, j’ai téléphoné au président Sadate dans sa résidence à Al-Qanater al-Khaïriya pour lui faire part du communiqué que j’avais préparé sur l’attaque. Mais je n’ai pas pu lui parler parce qu’il dormait encore. Je l’ai rappelé plusieurs fois, en espaçant mes appels. En vain. J’ai alors publié le communiqué, sans attendre son avis. La situation était en effet embarrassante pour l’Egypte, surtout face au monde arabe ».

« A 1h30 de l’après-midi, Sadate m’appela au ministère et me demanda, d’une voix somnolente, pourquoi je l’avais appelé plusieurs fois le matin même. Je lui répondis qu’il s’agissait de l’attaque israélienne sur le Liban. Il me demanda en rigolant : Ils leur ont foutu une bonne raclée ou pas encore ? ». Ne saisissant pas ce qu’il voulait dire, je lui demandai : « Pardon ? ». Il me dit : « Ils leur ont donné une bonne leçon ou pas encore ? ». « Je compris enfin qu’il parlait des Israéliens, et qu’il voulait savoir s’ils avaient donné une leçon aux Palestiniens … » .

Traduction de Dina Heshmat

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Sonallah Ibrahim

Romancier égyptien, né au Caire en 1937. Etudiant en droit et militant communiste, il est emprisonné de 1959 à 1964. Il étudie ensuite le cinéma et le journalisme à Berlin-Est et à Moscou. Il devient journaliste en même temps qu’employé dans une maison d’édition. A partir de 1975, il se consacre entièrement à l’écriture soit des romans, soit d’histoires pour enfants, de même qu’à la traduction, notamment de Grimm. Son écriture engagée lui a valu le Prix Ibn Rouchd (Averroès) décerné à Berlin en 2004 pour « son militantisme continu pour la liberté et la démocratie dans les pays arabes ».

En 2003, son refus du Prix du roman arabe, décerné par le ministère égyptien de la Culture, faisant partie, selon lui, d’un régime corrompu, avait fait des vagues au niveau mondial et a consacré son image d’écrivain engagé et intègre.

A l’exception de Beyrouth, Beyrouth, toute son œuvre a été traduite en français chez Actes Sud dont Negmet Aghostoss (Etoile d’août, 1987) ; Telka al-raëha (Cette odeur-là, 1992) ; Amrikanli (Un Automne à San Francisco, 2005 etc.

 

 




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