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Liban.
Un appel au soutien à la «
résistance nationale libanaise » a recueilli la signature de
près de 400 intellectuels arabes, dont 200 Libanais.
Samah Idriss, directeur de la
maison d'édition Dar Al-Adab, en est l'un des initiateurs.
Entretien.
« Nous voulons dire à la résistance qu'elle
n’est pas isolée »
Al-Ahram
Hebdo : Pourquoi avez-vous ressenti cette nécessité de publier
un appel au soutien à la résistance ?
Samah Idriss :
Premièrement, j'avais le sentiment, comme de nombreuses autres
personnes actives dans le domaine culturel au Liban, ou en
dehors du Liban, que les intellectuels ne soutenaient pas le
travail de la résistance nationale. C'était important pour nous
de montrer à la résistance qu'elle jouit du soutien d'une partie
importante des intellectuels. Nous ne sommes pas des
intellectuels libéraux qui ne connaissent pas l'histoire
sioniste et qui s'en prennent au Hezbollah en prétendant qu'il a
donné le prétexte à Israël de l'attaquer. Comme si Israël avait
besoin d'un prétexte pour envahir le Liban. Ces intellectuels ne
connaissent pas l'Histoire et rendent la résistance responsable
des actes du sionisme. Par cette pétition, nous voulions ainsi,
tout d'abord, dire à la résistance qu'elle n'est pas isolée,
qu'elle n'est pas soutenue seulement par le public chiite, mais
également par des intellectuels, des écrivains, des réalisateurs
et des artistes. Nous voulions ensuite adresser un message aux
intellectuels dans le monde arabe. En effet, certains écrivains
libanais s'expriment dans des journaux libanais ou du Golfe en
critiquant ou en émettant des réserves sur les actes de la
résistance. Cela pourrait donner l'impression aux intellectuels
arabes que les intellectuels libanais refusent les actions de la
résistance. Nous ressentions donc le besoin de nous démarquer de
ce discours. Enfin, nous voulions adresser un message aux
intellectuels de par le monde, les appelant à boycotter les
marchandises israéliennes, mais aussi aux différentes
institutions, académiques ou autres, de cet Etat. Il existe déjà
des associations et des groupements qui travaillent dans ce sens
en Europe, en Grande-Bretagne ou en France, mais aussi aux
Etats-Unis.
— Quels sont ces « intellectuels libéraux »
dont vous parlez ?
— Ils s'expriment dans plusieurs journaux du
Golfe et libanais. Ils sont nombreux. Je ne tiens pas à citer
des noms. Mais la manière dont je les décris suffira à les
situer. Ce sont ceux qui disent que si « le Hezbollah n'avait
pas enlevé deux soldats, l'invasion israélienne n'aurait pas eu
lieu ». Or, Israël n'a jamais eu besoin d'un prétexte pour
envahir le Liban. En 1982, il avait annoncé que l'ambassadeur
israélien à Londres avait été victime d'un attentat et qu'il
avait été tué pour envahir le Liban. Or l'ambassadeur israélien
n'était pas mort, il était blessé. En Iraq, il a invoqué les
armes de destruction massive. Bref, ces intellectuels libéraux
semblent ignorer les fondements de la pensée sioniste.
La deuxième caractéristique de ces libéraux
arabes est qu'ils représentent le Liban comme un paradis isolé
du monde arabe. Or, qu'on le veuille ou non, le Liban a toujours
été une scène de divers conflits. Dernièrement, après
l'assassinat de Rafiq Hariri, le Liban est devenu une scène pour
l'axe Etats-Unis-France-Israël. Nous ne voulons pas que le Liban
soit une scène, mais nous ne voulons pas non plus qu'il soit une
île isolée de la réalité. Le Liban a toujours été impliqué dans
des alliances, entre autres, à l'époque de Nasser. Nous ne
voulons pas payer le prix fort, mais en même temps il est normal
que nous fassions partie intégrante des conflits en cours. La
troisième caractéristique de ces intellectuels est qu'ils se
présentent comme des réalistes, et rapportent sans cesse qu'il
faut se rappeler qu'on n'a pas réussi à battre Israël. Ce
discours n'est pas un discours réaliste mais capitulatif. Car le
Liban a réussi à vaincre Israël en 2000 et à imposer le retrait
des troupes israéliennes du sud. Il s'agit là d'un regard
tronqué de la réalité, comme si cette réalité appartenait aux
Etats-Unis et à Israël. Or, ce sont les êtres humains qui créent
l'Histoire. Le devenir du Liban, du monde arabe, ou de la
planète tout entière n'est pas un destin tracé d'avance ou
fatal.
— Vous utilisez le terme de « résistance
nationale » dans votre appel. Pourquoi ?
— Personnellement, j'utilise le terme de «
résistance islamique ». Mais dans notre appel, nous avons fait
le choix de dire que cette résistance islamique est nationale.
Bien sûr, il ne s'agit pas d'ôter à la résistance son droit à se
définir comme elle l'entend. Cette résistance a le droit de se
réclamer de sa foi. Bon nombre de ses membres sont tombés au
combat et ils peuvent en être fiers. Mais on voulait signifier
que cette résistance était un acquis pour nous. Personnellement,
je voulais insister sur le fait qu'elle fait partie intégrante
de mes idées, en tant que nationaliste arabe, de gauche et
progressiste.
— Quelles sont vos prochaines actions
programmées ?
— Nous préparons un convoi qui se rendra dans
les villes du sud qui ont été très touchées par les
bombardements. Il s'agit pour nous de délivrer un message à
l'ennemi : en tant que Libanais, nous refusons que notre pays
soit divisé, nous refusons que des lignes rouges soient marquées
entre notre peuple et nous.
Cette initiative devrait être couronnée par
une marche qui aurait lieu le 19 août, à laquelle participeront
des intellectuels du monde entier, ainsi que des parlementaires.
En même temps, nous organisons d'autres
activités, en essayant d'impulser une grande manifestation, à
laquelle participeraient tous les courants libanais, ceux du 14
mars, ou les autres, au-delà de leurs divergences, sous le
slogan « Un Liban uni face à Israël », qui irait de la Place des
martyrs vers la banlieue sud, où les bombardements continuent à
avoir lieu en ce moment même. Malgré toutes leurs divergences,
les Libanais doivent être unis face à l'ennemi. La définition
d'Israël comme ennemi doit en effet souder notre identité
nationale.
Propos recueillis par Dina Heshmat |
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Des journées d'horreur
En visite au pays du Cèdre au moment où
l'offensive israélienne a commencé, l'écrivaine de théâtre
Fathiya Al-Assal nous a donné son témoignage.
Ce
n'était pas la première fois que Fathiya Al-Assal se rendait au
pays du Cèdre. Elle y était déjà en 1982, dans le cadre d'une
délégation de solidarité lors du siège de Beyrouth, avec le
scénariste Galal Al-Ghazali, l'écrivain de théâtre, Nagui
Georges, et le réalisateur Ali Badrakhan.
Cette fois-ci, c'est par pur hasard qu'elle
se retrouve à nouveau en plein milieu des événements. Partie à
l'origine pour assister à une conférence sur le Dialogue
culturel démocratique organisée en Syrie pour soutenir « la
position de la Syrie face à l'ennemi et la résistance », Fathiya
était partie pour Beyrouth le 26 juin, où elle s'était installée
chez une amie dans la ville de Saïda, au sud de la capitale.
Elle est invitée par la chaîne de télé Al-Manar du Hezbollah, où
elle est interviewée, puis elle a participé à plusieurs débats
publics. Elle passe ainsi par Nabatieh, dans le cadre d'un débat
sur son autobiographie. Jolie ville du Sud-Liban, que plusieurs
écrivains libanais originaires de cette région évoquent dans
leurs écrits, entre autres Hanane Al-Cheikh et Hassan Daoud. «
Nabatieh ressemblait à quelque chose d'assez proche du paradis
», raconte Fathiya Al-Assal. Aujourd'hui, la ville a été touchée
plusieurs fois par des bombardements israéliens et n'est plus
que l'ombre d'elle-même.
« Quand la capture des deux soldats
israéliens a eu lieu, j'ai compris qu'il y aurait une réaction
israélienne violente et j'ai décidé de partir. J'ai commencé à
préparer mes valises ». C'était déjà trop tard. Les bombes
israéliennes pleuvaient déjà sur l'aéroport de Beyrouth, et sur
la route principale qui lie le Liban à la Syrie. Mais aussi sur
plusieurs bâtiments importants entre Saïda et Beyrouth, entre
autres sur les réservoirs de carburants et la centrale
électrique à Jieh. « Dans l'appartement de mon amie, les
bombardements faisaient tomber les lustres », se souvient
Fathiya.
Commence alors pour elle la même galère que
pour des milliers d'autres personnes qui essayent de sortir d'un
Liban assiégé. « J'ai contacté un chauffeur, il m'a demandé 1
000 dollars pour m'emmener en Syrie, à condition que je ne
prenne pas mes bagages, pour pouvoir courir au cas où ». Elle
décide d'attendre.
Les jours passent, les bombardements
s'intensifient, des centaines de milliers de personnes fuient
les villages qui jouxtent la frontière. « Je me disais que si je
mourais là-bas, mes enfants ne pourraient pas récupérer mon
corps ».
En attendant un hypothétique départ,
s'installe la vie quotidienne en temps de guerre. « Les gens ont
une expérience de la guerre. Ils savent comment ils doivent
économiser l'eau, comment stocker la nourriture ».
Finalement, au bout de neuf jours, Fathiya
Al-Assal réussit à sortir du Liban. Commence alors une nouvelle
galère. « Grâce à la campagne de pression médiatique menée en
Egypte, on m'a beaucoup aidée », reconnaît l'écrivaine. Mais que
peuvent les contacts diplomatiques face à des ponts écroulés,
des routes bloquées par d'immenses cratères de bombes ? « On a
mis cinq heures pour arriver à Beyrouth, alors que normalement,
ça prend 20 minutes. On est passés par des chemins latéraux, par
la montagne. Devant l'ambassade d'Egypte, près de 1 000 ouvriers
égyptiens attendaient pour partir. Certains avaient eu leurs
maisons détruites ». Trois convois de six bus devaient
transporter les gens vers la frontière.
Après mille détours sur une route dangereuse,
et des heures d'attente à la frontière — à cause du fait que
nombre d'ouvriers égyptiens avaient perdu leurs passeports dans
les événements, après un évanouissement de Fathiya et beaucoup
de pourparlers et de menaces avec les officiers en charge, en
tout 24 heures —, le convoi finit par arriver à Damas.
De retour au Caire, Fathiya Al-Assal continue
à participer aux différentes initiatives de soutien à la
résistance. Manifestations de rue, meeting d'artistes,
délégation à l'Onu. Elle est d'autant plus motivée, que,
raconte-t-elle, « au Liban, quand ils entendent parler d'une
manifestation pour le soutien à la résistance, leur moral
s'élève en flèche » .
D. H. |
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