Des
villages lointains à Minya aux bidonvilles du Caire, la présence
des ONG ne passe pas inaperçue. Elles interviennent dans le
quotidien des laissés-pour-compte et diminuent de leurs
souffrances. Les ONG ont été les premières à aborder les sujets
tabous, à ouvrir les dossiers sensibles et à implanter une
nouvelle culture de développement. Selon la sociologue Iman
Bibars, présidente de l'Association Adew et chercheuse qui a
effectué une étude sur la société civile en Egypte, les ONG sont
très présentes sur le terrain. Alphabétisation, assistance aux
pauvres, amélioration des conditions de la femme, respect des
droits de l'homme, assistance juridique, lutte contre le travail
des enfants, protection de l'environnement ... La liste est
longue.
Selon les statistiques du ministère des
Affaires sociales, leur nombre a augmenté au cours de ces
dernières années. Alors qu'on comptait près de 5 000 ONG vers
1980, ce chiffre est passé à 19 000 en 2006. L'action sociale
s'est développée en Egypte avec le passage de l'économie dirigée
vers l'économie de marché. Selon une autre étude effectuée par
Moustapha Dessouqi, chercheur au Centre d'économie islamique de
l'Université d'Al-Azhar, au Caire, il y aurait une ONG pour 4
000 habitants contre un bureau de service gouvernemental pour 29
000 citoyens.
Alors que ces associations s'occupent de
toutes sortes d'actions sociales, chacune a développé sa propre
philosophie, son mode de financement, de gestion et ses outils
de travail. D'après Bibars, 70 % des ONG opèrent dans le domaine
social contre 15 % dans les secteurs caritatifs ou religieux.
Seule une minorité de 7 % œuvre dans le domaine du développement
et du droit.
« La philosophie de chaque organisation
détermine aussi sa vision à l'égard du service offert. Alors que
les institutions religieuses considèrent ce service comme une
charité, d'autres associations estiment que c'est une obligation
sociale, un droit de citoyenneté pour les démunis », explique
Iman Bibars. Elle estime qu'il faut tout d'abord faire la
distinction entre les associations qui présentent un service et
celles qui œuvrent dans le domaine du développement. « Les unes
travaillent à combler un vide, comme par exemple le fait de
créer des cours d'alphabétisation. Une mission importante et qui
a déjà porté ses fruits à long terme. D'autres tentent d'avoir
de nouvelles conceptions indispensables à un changement social,
comme par exemple l'idée d'ouvrir des ateliers pour la formation
de jeunes filles dans les endroits les plus reculés leur
permettant ainsi d'améliorer leurs conditions de vie. Ainsi, ces
nouvelles idées participent à l'élaboration d'un nouveau système
de développement », ajoute Bibars.
Un but commun, des approches différentes
Chaque
ONG établit ses propres objectifs. Cependant, certaines
appliquent encore de vieilles conceptions et adaptent même les
objectifs de l'association à leur agenda personnel. Ainsi,
certaines femmes d'affaires sans aucune connaissance des milieux
défavorisés « adoptent-elles des conceptions datant du début du
siècle, transformant ainsi les ONG en clubs de loisirs pour
petits bourgeois », ajoute un sociologue qui a requis l'anonymat.
Il estime que pour ces femmes, de telles
missions ne sont qu'un moyen destiné à briller dans les salons
et à faire partie de l'élite. Il suffit, selon la même source,
de jeter un coup d'œil aux magazines féminins publiant les
photos de ces femmes parées de fourrures et de diamants dont les
prix pourraient nourrir plusieurs familles. « Comment
peuvent-elles ressentir les besoins des couches les plus
défavorisées ? », se demande la même source. Heureusement que
plusieurs ONG tentent par tous les moyens de se rapprocher des
gens pour connaître leurs besoins. Elles emploient tous les
moyens pour convaincre. Fardos Al-Bahnassi, militante et membre
de différentes ONG, raconte qu'elle a pénétré de nombreux
foyers, écouté les femmes et partagé leurs souffrances. C'est à
ce prix qu'elle est arrivée à les convaincre. « J'ai dû parfois
échanger des recettes étranges avec des femmes et accepter
malgré moi certaines superstitions pour ne pas choquer la morale
de ces humbles personnes ». Iman Bibars estime que l'action
sociale est multiple et peut revêtir plusieurs formes.
« Ces femmes, qui font partie de la
bourgeoisie égyptienne, ont au moins de bonnes intentions et
tentent à leur tour de combler un vide à travers un service. Au
moins elles ne restent pas les bras croisés et rendent visite
aux enfants cancéreux, un rôle important que d'autres
associations n'ont pas le temps d'accomplir », ajoute-t-elle.
Le casse-tête du financement
La philosophie de chaque ONG et la conception
de son œuvre influencent son mode de fonctionnement et ses
sources de financement. Ainsi Atef, responsable d'une ONG
affiliée à une mosquée, pense que la zakat (l'aumône) et les
donations sont les ressources essentielles et au vu du peu de
subventions accordées par le ministère des Assurances sociales,
elles ne pourraient couvrir toutes les dépenses engendrées par
les différents services offerts par la mosquée. Selon les
chiffres de la Banque Nasser, les sommes versées pour la zakat
dépassent les 200 millions de L.E. par an. Ce chiffre donne une
idée du capital des mosquées. Les organisations qui dépendent
des églises semblent bénéficier des mêmes avantages.
Mais pour le reste, qui est la grande
majorité des ONG, le financement demeure le problème central.
Yousriya Fahmi, responsable d'une organisation, affirme que le
budget annuel de son association ne dépasse pas les 15 000 L.E.
« C'est le cas de 35 % des ONG en Egypte ». Selon Iman Bibars,
les Egyptiens ne comprennent pas encore très bien le concept
d'aide au développement.
Le manque de moyens dont souffrent beaucoup
d'ONG est le résultat des contraintes imposées par la loi no 32.
Onsi, président d’une ONG, ne nie pas qu'au cours de ces
dernières années, les dons ont augmenté car les ONG et leurs
activités ont commencé à faire bon écho auprès de l’opinion
publique. « Mais cela ne suffit pas. Les ONG ont beaucoup de
charges financières. La plupart de ces organisations ne
possèdent pas de locaux et sont obligées d'en louer pour
organiser des expositions sans compter les autres activités qui
nécessitent d'importantes sommes d’argent », explique-t-il. Ceci
pousse les associations à collecter des fonds de l'étranger à
condition d'obtenir l'approbation du ministère des Affaires
sociales et de la Sûreté de l'Etat. Samia, membre d'une
organisation, affirme que l’Etat leur accorde une liberté
d'action entière sur le terrain mais, concernant les budgets, il
leur est interdit de collecter des fonds étrangers. « Si l'Etat
n’a pas les moyens de nous aider, qu'il nous laisse développer
nos activités grâce aux dons étrangers », explique-t-elle.
Bibars estime que pour prouver sa transparence, une ONG doit se
développer et installer ses antennes un peu partout. « Ce n'est
pas logique que celle-ci reçoive des dons sans élargir ses
activités », confie-t-elle.
Sur le plan local, côté hommes d'affaires,
seule pour l'instant la Fondation Sawirès a versé 50 millions de
L.E. à une cinquantaine d'ONG. D'autres hommes d'affaires sont
entrés dans l'action civile mais en créant leur propre ONG,
comme celle d'Aboul-Einein, de Farid Khamis et la Fondation
Nosseir, etc. Est-ce un phénomène de mode dans les cercles
d'affaires égyptiens ? Ou plutôt une application à la lettre des
exigences de l'Europe en matière de rôle social imposé à toutes
les entreprises dans le but de réduire les conséquences néfastes
du marché libre.
De tout ce magma s'est dégagée une nouvelle
manière de gérer les associations et de garantir son financement.
L'ONG Care With Love, qui présente un service médical aux
personnes âgées à domicile, gère son travail en se basant sur un
esprit de business. Elle forme d'abord de jeunes chômeurs qui
offriront ensuite leur service aux personnes âgées des classes
moyennes, en contrepartie d'un sversé par ces dernières.
L'association joue donc le rôle d'intermédiaire. « Et si ce
genre de service revient cher pour certaines familles, c'est
bien pour garantir la réussite et la continuité de notre projet
», conclut Magda Iskander, responsable à Care With Love .
Chahinaz Gheith et Dina Darwich